La décision de sanction de l’ACPR à l’égard de PFS, une avancée majeure de la jurisprudence au regard de l’émission de monnaie électronique

Par Delya Douglas et Marie Djedri, membres OLAB

Références à indiquer pour citer l’article :

Delya Douglas, Marie Djedri – “La décision de sanction de l’ACPR à l’égard de PFS, une avancée majeure de la jurisprudence au regard de l’émission de monnaie électronique” – OLAB, 2020.

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Le 24 septembre 2019, la Commission des sanctions de l’ACPR a rendu une décision dans l’affaire concernant Prepaid Financial Services Limited (ci-après PFS).

PFS est une société britannique, enregistrée en Angleterre et au Pays de Galles en qualité d’établissement de monnaie électronique, spécialisée dans la fourniture de cartes prépayées anonymes.

La sanction retenue contre la société PFS est une décision inédite pour plusieurs raisons : premièrement, la commission des sanctions de l’ACPR sanctionne une entreprise britannique fournissant ses services en France via le passeport européen sous le régime du libre établissement. Cette décision met clairement en évidence l’intransigeance de la commission des sanctions de l’ACPR sur le respect de la législation et des dispositions règlementaires en vigueur en France par toutes les sociétés soumises au respect de ses règles, indépendamment du régime sous lequel ces dernières fournissent leurs services.

Cette décision rappelle bien la position de la commission des sanctions de l’ACPR sur la commercialisation des produits de monnaie électronique anonyme et le caractère impératif du respect des mesures nationales relatives à la LCB-FT en vigueur. Auparavant, considéré comme un produit à faible risque de BC et de FT, les mesures relatives à l’utilisation des produits de monnaie électronique anonymes ont été renforcées, notamment pour les produits favorisant l’anonymat. La sanction de la commission des sanctions a mis en évidence le renforcement des mesures concernant ces produits, qui ont notamment servi au financement des attentats terroristes de Paris en 2015. Par conséquent, la sanction imposée par la commission des sanctions consiste en un blâme et une sanction pécuniaire d’un million d’euros.

Notre analyse portera sur les principaux griefs sur lesquels s’est fondée la poursuite[1]. Par ailleurs, nous étudierons la question de l’application des mesures de gel des avoirs pour les organismes commercialisant les produits de monnaie électronique anonymes.

I – Des manquements graves et répétés aux obligations de vigilance, un constat représentatif de la faible culture de la conformité au sein des émetteurs de monnaie électronique

 1 –Défaut d’application de mesures de due diligence lors de la commercialisation de cartes dites simplified due diligence(ci-après SDD) et « anonymes »

Le premier grief retenu contre PFS concerne le non-respect des obligations de vérification de l’identité et des clients porteurs des cartes de monnaie électronique commercialisées par l’établissement.

En effet, la commission des sanctions de l’ACPR a souligné que sur la période de janvier à novembre 2017, PFS a commercialisé 1038 cartes anonymes ayant une valeur supérieure de 250 euros, a permis 871 opérations de retrait en espèces à partir de cartes anonymes, ainsi que la réalisation d’opérations à l’étranger pour les montants supérieurs à 100 euros. À cela, s’ajoutent les deux opérations de chargement d’une carte anonyme avec la monnaie électronique stockée sur une autre carte anonyme sans que l’identité du porteur n’ait au préalable été vérifiée.

Au plan juridique, le respect des obligations de vigilance (identification, vérification de l’identité, connaissance des relations d’affaires) est imposé par le Code Monétaire et Financier (ci-après CMF) à tous les organismes assujettis. Toutefois, l’article R.561-16 du CMF dans sa rédaction en vigueur au moment des faits prévoit une exonération des obligations de vigilance pour les organismes émetteurs de monnaie électronique subordonnées à des conditions bien précises et cumulatives. Tel est le cas lorsque :

  • la monnaie électronique est émise exclusivement en vue de la seule acquisition de biens ou de services. La notion de biens et de services devant être comprise comme des biens et services de consommation, excluant tout service financier ;
  • la valeur monétaire maximale stockée sur le support de monnaie électronique n’excède pas 250 euros, et, dans l’hypothèse où le support est rechargeable, la limite maximale de stockage et de paiement est de 250 euros par période de 30 jours ;
  • le support ne peut être utilisé que pour des paiements sur le territoire national ;
  • le support de la monnaie électronique ne peut être chargé au moyen d’espèces, sauf dans deux situations strictement limitées[2];
  • le support de la monnaie électronique ne peut être chargé au moyen de monnaie électronique dont le détenteur n’est pas identifié (interdiction des chaînes de financement au moyen de monnaie électronique anonyme).

En outre, ce même article, dans sa rédaction au moment des faits[3], prévoit que les opérations de retrait et de remboursement en espèces de la monnaie électronique anonyme sont limitées à 100 euros.

La Commission des sanctions a logiquement conclu qu’au moment du contrôle, le dispositif de PFS n’était pas conforme aux obligations d’identification, de vérification de l’identité et de connaissance des relations d’affaires[4], alors que la mise en œuvre des obligations est nécessaire pour identifier les clients pouvant constituer un risque élevé de BC/FT.

Il convient de noter que les seuils applicables aux produits de monnaie électronique anonymes ont été abaissés à 150 euros pour la valeur maximale de stockage et de paiement et à 50 euros pour les opérations de retrait et de remboursement en espèces par la 5èmedirective LCB-FT. Les émetteurs de monnaie électronique disposent néanmoins d’un délai de mise en conformité s’étendant jusqu’au 1erjanvier 2021.

2Insuffisance des informations relatives au chargement des cartes prépayées : le recueil et la conservation des informations relatives à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’un support physique

Pour la première fois, la Commission des sanctions s’est prononcée sur un grief fondée sur une obligation spécifique aux produits de monnaie électronique : le recueil et la conservation des informations techniques relatives au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’un support physique.

La Commission des sanctions a souligné que la société PFS ne conservait pas les données relatives au chargement des cartes prépayées anonymes dans les points de vente desdits produits. La société PFS a évoqué des « difficultés techniques » gênant le recueil et la conservation des informations relatives au chargement des cartes prépayées et empêchant ainsi l’application de cette mesure.

Or, sans ces informations, il est impossible de vérifier si les obligations de vigilance et les conditions strictes des opérations de chargement en espèces des cartes sont effectivement appliquées dans les points de vente, comme l’impose l’article R.561-16 du CMF dans sa rédaction au moment des faits, ainsi que les conditions de limitation des opérations de chargement en espèces, conformément à l’article D.315-2 du CMF.

Il apparaît donc que la société PFS ne s’est pas conformée aux exigences de l’article L.561-12 du CMF qui impose de conserver pendant 5 ans les données et informations techniques relatives au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’un support technique.

3Le non-respect des obligations de déclaration de soupçon

L’article L.561-15 du CMF impose aux organismes assujettis l’obligation de déclarer à TRACFIN « les sommes inscrites dans leur livre ou les opérations portants sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme ».

En l’espèce, le manquement de la société PFS à ses obligations déclaratives est dû à l’absence et l’insuffisance des données clés recueillies sur l’origine des fonds impliquées dans les achats des produits de monnaie électronique par les clients. Pourtant, ces informations sont nécessaires pour analyser l’objet de la transaction et déterminer le profil risque de ces derniers.

Pour remédier à cette lacune, les actions correctrices entreprises par la société PFS ont consisté à mettre en place un questionnaire d’accueil ayant pour but de recueillir les informations relatives à la relation d’affaire, la profession, les revenus financiers ainsi que l’usage prévue de la carte achetée. À l’évidence, ces initiatives restent en deçà des exigences de l’obligation de déclaration de soupçon et ne sont pas pertinentes pour établir un dispositif robuste de lutte contre le BC/FT.

II- Le problème épineux du respect de l’obligation de gel des avoirs pour les sociétés commercialisant les produits de monnaie électronique anonymes

– Le respect des mesures de gel des avoirs, une « obligation de résultat »

La commission des sanctions de l’ACPR a souligné le système lacunaire de mise en œuvre des mesures de gel des avoirs de la société PFS. En l’espèce, le dispositif en place ne prenait pas en compte les mesures nationales de gel des avoirs, comme l’énoncent les articles L.562-2 et L.562-3 du CMF. De ce fait, PFS n’a pas été en mesure de détecter que deux de ces clients porteurs de cartes prépayées faisaient l’objet de mesures de gel des avoirs. Ces derniers ont pu bénéficier de ses services, notamment à travers plusieurs opérations de paiement et de retrait en espèces.

La mise en œuvre de dispositif permettant le respect des mesures de gel des avoirs au sein des organismes assujettis est un point important rappelé à maintes reprises par la Commission des sanctions dans ces décisions précédentes. À ce propos, elle indique clairement qu’il s’agit d’« une obligation de résultat » incombant aux organismes assujettis (Décision Commission des sanctions n°2011-03, Bank Tejarat Paris). L’obligation de résultat implique que ces derniers soient contraints de respecter les mesures nationales de gel des avoirs en vigueur en toutes circonstances. Ainsi, un seul cas de défaut de détection d’une personne visée par une mesure de gel ou d’une opération à destination d’une personne visée par une mesure de gel des avoirs constituent une violation de ladite obligation.

Les mesures de gel des avoirs constituent en effet des moyens efficaces de prévention et de répression de plusieurs infractions financières notamment le FT, empêchant les personnes ciblées par ces mesures d’avoir accès à leurs ressources financières, aux systèmes bancaire et financier, ainsi qu’aux produits financiers[5]. Leur accès aux différents produits financiers et bancaires pourrait faciliter la commission d’actions de blanchiment de capitaux ou de préparation d’actes terroristes. Le respect des mesures de gel des avoirs est capital pour lutter efficacement contre la manipulation du secteur financier par des criminels.

Toutefois, la question du respect des mesures de gel des avoirs apparaît moins simple pour les organismes commercialisant des produits financiers favorisant l’anonymat, comme c’est le cas en l’espèce pour la société PFS proposant la vente de cartes prépayées et d’autres produits de monnaie électronique anonymes. Comment vérifier si le client est ciblé par une mesure nationale de gel des avoirs sans remettre en cause le principe même de l’anonymat ? L’argument principal de vente de ces produits repose essentiellement sur la garantie de l’anonymat des clients et des transactions. En conséquence, les organismes assujetties commercialisant ces produits font face à un dilemme considérable.

Enfin, l’existence des produits de monnaie électronique anonymes affaiblit la robustesse du dispositif français de LCB-FT, puisque l’application des obligations de gel des avoirs est rendue impossible de fait.

2 –Une obligation juridique d’identification de la clientèle, y compris pour les produits de monnaie électronique anonymes : comment faire ?

L’analyse de la décision de la commission des sanctions de l’ACPR à l’encontre de la société PFS met en lumière des points essentiels.

Cette décision révèle la difficulté pour le gouvernement de mettre en place une réglementation efficace encadrant les produits de monnaie électronique anonymes à des fins de LCB-FT. Les mesures de LCB-FT relatives à la vente des produits anonymes et leur plafonnement ont été durcies. De même, les autorités nationales ont fait le choix de limiter les supports de monnaie électronique afin de réduire les risques de BC et de FT. Or, les risques de BC et de FT demeurent malgré le durcissement de la réglementation car de telles mesures sont facilement contournables par les clients. En réalité, il existe bien un plafond de chargement par support de monnaie électronique, mais le client a la possibilité d’en posséder plusieurs, ce qui rend inutiles les mesures de limite des plafonds mensuels, retraits et dépenses appliquées aux produits de monnaie électronique anonymes.

À l’évidence, le choix des autorités nationales d’autoriser la commercialisation de produits financiers anonymes sur le territoire français est en parfaite contradiction avec leur volonté de renforcer la lutte contre le BC et le FT. Le niveau de risques de BC et de FT des produits financiers favorisant l’anonymat est élevé et les mesures en vigueur pour limiter ces risques ont montré leurs limites.

En définitive, il est primordial de repenser les mesures en vigueur de lutte contre le BC et le FT dans le secteur de la vente de produits financiers favorisant l’anonymat.

[1]Il s’agit du Collège de l’ACPR.

[2]Cette condition ne s’applique pas à la monnaie électronique émise en vue de l’acquisition de biens ou de services dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement ou pour un éventail limité de biens et de services.

[3]Devenu l’article R.561-16-1 du CMF au 1eroctobre 2018.

[4]L’obligation de connaissance est applicable aux relations d’affaires uniquement et ne s’applique pas aux clients occasionnels.

[5]Exception faite des dépenses de base s’inscrivant dans une continuité historique, telles que définies dans le paragraphe 138 des Lignes directrices de la Direction générale du Trésor et de l’ACPR sur la mise en œuvre des obligations de gel des avoirs.

2 thoughts on “La décision de sanction de l’ACPR à l’égard de PFS, une avancée majeure de la jurisprudence au regard de l’émission de monnaie électronique”

  1. In their article, the authors give the impression that the ACPR’s accusations against the card issuer PFS only relate to anonymous e-money products, since PFS allegedly specializes in these products (p. 1) and “offers the sale of prepaid cards and other anonymous e-money products” (p. 6). However, if one reads the APCR decision on the PFS case more closely, the 7 allegations in 5 cases are not about anonymous e-money products, but about fully-identified prepaid cards (so-called KYC cards) issued by PFS. This also applies to the case where assets of one or more persons registered on the sanctions list were to be frozen (Allegation No. 7).

    Accordingly, from the decision of the ACPR against PFS, it cannot be concluded that this body demands the freezing of funds received from a card issuer when loading an anonymous prepaid card. This is, of course, logically impossible. Also, one should differentiate here between account-based and token-based e-money products. In the latter case, the issuer does not hold card-based funds, but the money, stored on a carrier medium (e.g. card) is – as a bearer instrument – owned by the holder. In this case – even with KYC cards – nothing can be frozen by a third-party. It is like caviar bought by an identified person and lying in his refrigerator at home. If it gets on the sanctions list, the merchant who sold the caviar is powerless. Only the owner can freeze the caviar himself as an asset.

    The authors’ claim that the issuance of anonymous e-money products should therefore be prevented has nothing to do with the ACPR’s decision. The same reasoning could be used to call for the abolition of cash. If people only have to store their money in identified accounts, there is simply more mass that can be frozen by banks.

    Moreover, it is questionable whether an anonymous prepaid card that can be topped up to a maximum amount of 150 euros can be called an “asset” (“gel des avoirs”).

    1. Thank you for your interest in this article.

      Our analysis aims to analyze the violations of AML-CFT requirements committed by PFS that have been sanctioned the ACPR’s Sanction Commission.
      We wanted to point out the core problem of asset freezing measures enforcement in some particular cases like anonymous e-money products. The fact is that asset freezing measures can not be applied to those products as the client is not identified and thresholds related to those products may be very easily circumvented. The existence of this option, provided for in the 5th AML Directive, is problematic in itself because it irreparably reduces the efficiency of the European AML-CFT system. That is why some EU Member States (Portugal, Italy) have not used this option.

      Finally, there is no doubt about the applicability of asset freezing measures on e-money products as the concept of assets is very broad and encompasses all products / services that can be used in the financial system. Otherwise, the whole AML-CFT system would have been inefficient.

      Delya Douglas for OLAB

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