Points clés de la transposition de la 5ème directive LCB-FT
POINTS CLÉS DE LA TRANSPOSITION DE LA 5ÈME DIRECTIVE DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME
Par Solène Clément, Présidente OLAB et Delya Douglas, membre OLAB
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La 5èmedirective de Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) a été transposée par l’ordonnance n° 2020-115 ainsi que par les décrets n° 2020-118 et n° 2020-119 du 12 février 2020.
Sans surprise, cette transposition emporte d’importes évolutions s’agissant du champ d’assujettissement des obligations LCB-FT (I) et sur le fond des obligations de vigilance (II).
D’autres évolutions pouvant sembler de prime abord plus marginales mais dont les changements ont un impact sur l’architecture de la règlementation LCB-FT affectent ainsi l’obligation de déclaration de soupçon (III).
I. Evolution du champ d’application des obligations de LCB-FT
1. Rappel sur les prestataires de services sur actifs numériques
La transposition de la 5ème directive deLCB-FT concernant l’assujettissement des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), en particulier aux fournisseurs de services de garde et aux plateformes de conversion des monnaies virtuelles contre des monnaies ayant cours légal avait été anticipée via la loi PACTE[1]. Ces acteurs sont soumis à un régime d’enregistrement ainsi qu’à un régime d’agrément optionnel auprès de l’AMF en fonction des services fournis.
2. Elargissement de l’assujettissement aux obligations de LCB-FT à deux nouveaux types de professionnels
Tout d’abord, il est à noter que l’article L.561-2 CMF accueille deux nouveaux alinéas 18° et 19° et procède ainsi à l’assujettissement de deux nouveaux type de professionnels.
D’une part, il s’agit des Caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (ci-après « CARPA »). Une CARPA gère les comptes par lesquels transitent des règlements pécuniaires des clients des avocats de son barreau mais également la rémunération des avocats au titre de l’aide juridictionnelle. Elles sont constituées sous la forme d’association loi 1901, ce ne sont pas des établissements financiers mais des organes de contrôle placé sous la responsabilité des ordres des avocats.
D’autre part, il s’agit des greffiers des Tribunaux de commerce mentionnés à l’article L.741-1 du code de commerce. Rappelons que ce sont les professionnels en charge du registre des bénéficiaires effectifs dont la consultation devient obligatoire dans le cadre de la présente transposition (cf. infra).
3. Elargissement des matières assujetties pour les professionnels du droit
Deux grandes évolutions affectent les professionnels du droit et plus particulièrement les avocats.
Ainsi les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, les avocats, lesnotaires, les huissiers de justice, les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires et les commissaires-priseurs judiciaires sont désormais assujettis aux obligations de LCB-FT lorsqu’ils fournissent, directement ou par toute personne interposée à laquelle elles sont liées, des « conseils en matière fiscale »[2].
Pour mémoire, l’ajout de cet alinéa complète les trois premiers alinéas qui emportaient assujettissement des opérations relevant des matières bancaire, immobilière et fiduciaire. La question sous-jacente est donc celle de la définition de ce que recouvre un conseil en matière fiscale. En effet, la formulation apparaît vague au regard des alinéas précédents qui dans les matières précitées visaient des opérations spécifiques telles « la gestion de fonds », « l’ouverture de comptes bancaires », « la constitution de société » ou encore « la gestion de fonds de dotation ». Par exemple, la contraction du mariage emportant des effets fiscaux, est-ce à dire que la pratique du droit de la famille tombera en partie sous le coup de ce nouvel alinéa ? De plus, on peut également se poser la question de l’effectivité de cet assujettissement en ces termes au regard des opérations déjà assujetties et qui constituent déjà des « outils » de travail des fiscalistes.
La deuxième évolution majeure issue de la transposition est celle qui opère un élargissement du champ d’assujettissement aux obligations de vigilance des avocats dans le cadre de leur consultation juridique et les procédures juridictionnelles.
En effet, avant la transposition, les avocats bénéficiaient d’une exception d’assujettissement quand dans les matières précitées (bancaire, immobilière et fiduciaire) ils intervenaient au moyen d’une consultation juridique ou dans une procédure juridictionnelle. Cette exception était totale en ce qu’elle valait pour l’obligation de vigilance et l’obligation de déclaration du soupçon[3].
La transposition du 12 février 2020 a restreint le champ de cette exception qui ne vaut désormais plus que pour les «dispositions de la section 4 du présent chapitre [S4, Obligation de déclaration et d’information] » c’est-à-dire s’agissant de l’obligation de déclaration de soupçon. Dès lors, dans les matières précitées et même lors d’une consultation juridique que d’une procédure juridictionnelle, l’avocat est assujetti aux obligations de vigilance.
4. Elargissement du champ d’assujettissement pour les acteurs du marché de l’art avec une modulation incertaine
Le secteur de l’art se voit assujettir de manière plus large qu’il ne l’était auparavant puisque le champ s’étend dorénavant aux « personnes qui entreposent ou négocient des œuvres d’art ou agissent en qualité d’intermédiaires dans le commerce des œuvres d’art quand celui-ci est réalisé dans des ports francs ou zones franches, » et vise ainsi pour la première fois les intermédiaires du marché de l’art autres que les commerçants antiquaires et galeristes ; à cet égard la nouvelle mention explicite des « galeries d’art » n’augure d’ailleurs aucun changement de fond.
Autre nouveauté s’agissant du marché de l’art visé aux alinéas 10 et 14, c’est la création d’un seuil d’assujettissement aux obligations LCB-FT liée à des opérations de plus de 10 000 euros. Est ainsi introduit pour la première fois dans la règlementation LCB-FT, un seuil chiffré déclenchant non pas la mise en œuvre des obligations de vigilance mais l’assujettissement lui-même.
Ce seuil d’assujettissement pose la question de la définition d’un « client occasionnel » puisque l’article R.561-10 CMF dispose que s’agissant d’un tel client, le professionnel assujetti doit mettre en œuvre son obligation de vigilance notamment en présence « 8° D’une opération ou d’opérations liées, autres que celles mentionnées aux 1° à 7°, dont le montant excède 15 000 euros ».
Il également à noter la fin de l’autorégulation pour les opérateurs de vente volontaires sur lesquels le Conseil des ventes volontaires possédait avant la transposition le pouvoir de contrôle et de sanction du respect des obligations LCB-FT. Dorénavant le pouvoir de contrôle est dévolu à la Direction générale des douanes et des droits indirects – les Douanes – ; et le pouvoir de sanction sera quant à lui exercé par la Commission Nationale des Sanctions qui devient donc le juge LCB-FT de tous les acteurs du marché de l’art.
5. Modulation incertaine pour les acteurs du marché de l’immobilier
Deux évolutions relatives aux intermédiaires en transaction immobilière sont à noter.
Premièrement le nouvel alinéa 8 de l’article L.561-2 CMF procède à l’exclusion du champ d’assujettissement des obligations LCB-FT des syndics de copropriété par la suppression de la référence à l’alinéa 9° de la loi du 2 janvier 1970 « L’exercice des fonctions de syndic de copropriété dans le cadre de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. » Cette suppression d’assujettissement ne semble pas poser de difficultés et il est à noter que les syndics avaient été assujetti par l’ordonnance du 30 mai 2014 c’est-à-dire bien après les intermédiaires en transaction immobilières. Ils auront été assujettis 6 ans et n’auront fait l’objet d’aucune décision de la Commission nationale des sanctions.
Deuxièmement et de manière plus étrange, la nouvelle formulation de l’alinéa 8 semble exclure du champ d’assujettissement des obligations LCB-FT les transactions d’achat, de vente, de recherche portant sur un bien immobilier.
Sa formulation est la suivante : « Sont assujettis aux obligations [LCB-FT] […] du présent chapitre[…] 8° Les personnes exerçant les activités mentionnées aux 1°, uniquement en ce qui concerne leur activité de location en exécution d’un mandat de transaction de biens immeubles dont le loyer mensuel est supérieur ou égal à 10 000 euros, 2°, 4°, 5° et 8° de l’article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce ; »
Ainsi, il résulte de la nouvelle rédaction de cet alinéa 8 que l’assujettissement aux obligations LCB-FT vaut pour « les activités mentionnées aux 1°[…] de l’article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970» c’est-à-dire « L’achat, la vente, la recherche, l’échange, la location ou sous-location, saisonnière ou non, en nu ou en meublé d’immeubles bâtis ou non bâtis » mais précise immédiatement en indiquant que cet assujettissement vaut « uniquement en ce qui concerne leur activité de location en exécution d’un mandat de transaction de biens immeubles dont le loyer mensuel est supérieur ou égal à 10 000 euros ». Dès lors il semble fortement que cette rédaction procède à l’exclusion de toutes les autres activités ne relevant pas de l’activité de location et du seuil des 10 000 euros.
Si l’idée était d’introduire de la même manière que pour le marché de l’art le même type de seuil d’assujettissement, force est de constater que la formulation semble très malheureuse.
6. Elargissement aux prestataires de service de transmission de fonds
Les prestataires de services de paiement fournissant le service de transmission de fonds sont nécessairement assujettis aux obligations de LCB-FT, même si ce service constitue une activité financière accessoire, tel que le prévoit la nouvelle rédaction de l’article L.561-4 du CMF.
II. Evolution du périmètre et du contenu des obligations de vigilance
1. Limitation du champ d’application de l’interdiction d’entrée en relation d’affaires et de poursuite de la relation d’affaires en cas d’impossibilité des mesures de vigilance requises
La nouvelle rédaction de l’article L.561-8 du CMF prévoit que l’interdiction d’entrée en relation d’affaires et de poursuite de la relation d’affaires ne s’applique pas aux personnes suivantes lorsque leur activité se rattache à une procédure juridictionnelle, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une telle procédure, et lorsqu’elles donnent des consultations juridiques :
- Experts comptables et salariés autorisés à exercer la profession d’expert-comptable ;
- Commissaires aux comptes ;
- Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,
- Avocats ;
- Notaires ;
- Huissiers de justice ;
- Administrateurs judiciaires ;
- Mandataires judiciaires et
- Commissaires-priseurs judiciaires.
Dans le contexte d’élargissement du champ d’assujettissement des avocats aux consultations juridiques et aux procédures juridictionnelles, cette exception doit se comprendre comme permettant l’adéquation de la règlementation LCB-FT avec l’exercice des droits de la défense ainsi que l’accès au droit des usagers.
En effet, interrogée sur cette question, la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Michaud contre France du 6 décembre 2012 a validé l’assujettissement des Avocats aux obligations de LCB-FT tout en rappelant la nécessité du secret professionnel et de la sauvegarde des droits de la défense.
Ainsi, l’exception de rupture des relations d’affaires pour ces deux actes apparaît sans surprise.
2. Introduction de la possibilité de communication mutuelle des informations relatives aux clients pour les avocats et les CARPA
Dans le contexte d’assujettissement des CARPA aux obligations LCB-FT, le nouvel article L.561-7-1 du CMF prévoit que pour la mise en œuvre de leur obligation de vigilance, les avocats et les CARPA ont la possibilité d’échanger des informations d’identification, de connaissance des clients, y compris celles obtenues dans le cadre de la vigilance constante, de la mise en œuvre de mesures de vigilance simplifiées, renforcées ou d’un examen renforcé.
S’introduit donc pour la première fois dans cette règlementation LCB-FT, la possibilité pour deux assujettis de se communiquer mutuellement les informations recueillies sur un client ou sur une opération et ce en dehors de toute suspicion.
Bien évidemment la question qui se pose sera celle de l’élargissement ou du confinement de ce principe de communication à ces deux seuls acteurs judiciaires particuliers.
3. Elargissement du périmètre des tiers introducteurs et réduction du formalisme
Les conditions applicables à la qualité de l’organisme tiers introducteur prévues à l’article L.561-7 du CMF ont été assouplies par la suppression de la référence à l’arrêté relatif aux pays tiers équivalent[4]. En effet, le tiers introducteur doit être situé dans un pays de l’UE/EEE ou dans un pays tiers imposant des obligations équivalentes en matière de LCB-FT, sans devoir figurer dans la liste dressée par l’arrêté susmentionné. Il appartient ainsi aux assujettis de juger de l’équivalence du pays en question.
Le principe de la conclusion d’un contrat écrit est maintenu. Cependant, en cas de tierce introduction intra-groupe, la nouvelle rédaction de l’article R.561-13 prévoit qu’une procédure interne peut faire office de contrat de tierce-introduction.
4. Assouplissement des mesures d’identification et de vérification de l’identité des clients en cas d’entrée en relation d’affaires à distance
L’entrée en relation d’affaires à distance n’est plus mentionnée dans la nouvelle rédaction de l’article L.561-10 du Code monétaire et financier (CMF) qui liste les cas de risque élevés de BC-FT. En effet, la 5ème directive LCB-FT précisait qu’un tel cas de figure constituait un facteur de risque potentiellement plus élevé si certaines garanties n’étaient pas mises en œuvre.
C’est pourquoi les articles R.561-20 et R.561-21 du CMF,[5]devenus les articles R.561-5-2 et R.561-5-3 du même code, prévoient l’application de deux mesures de vigilance seulement lorsque les mesures de vérification de l’identité du client standard, prévues à l’article R.561-5-1, n’ont pas pu être appliquées. Il s’agit donc d’un assouplissement relatif des exigences de vérification de l’identité des clients en la matière.
Plus précisément :
- Le recours à un moyen d’identification électronique notifié auprès de la Commission européenne dans les conditions prévues par le règlement « eIDAS », de niveau élevé est supprimé, à la suite du constat de l’indisponibilité de ces solutions en France ;
- Un document supplémentaire permettant de confirmer l’identité du client n’est plus requis du fait du renvoi du nouvel article R.561-5-2 du CMF à toutes les mesures de vérification de l’identité visées à l’article R.561-5-1 dudit code. Or, l’une de ces mesures est justement le recueil d’un document officiel d’identité ;
- Une nouvelle mesure est introduite :
Le recours à un service certifié conforme par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, ou un organisme de certification que cette agence autorise, au niveau de garantie substantiel des exigences relatives à la preuve et à la vérification d’identité, prévues à l’annexe du règlement d’exécution (UE) 2015/1502 du 8 septembre 2015. Il s’agit de l’un des règlements d’exécution du règlement “eIDAS”.
5. Suppression du recueil obligatoire du justificatif de domicile du client pour les établissements de crédit
Dans le cadre du renforcement de l’approche par les risques et du fait du caractère devenu inadapté de cette obligation pesant uniquement sur les établissements de crédit, ceux-ci se voient libérés du recueil obligatoire du justificatif de domicile de leurs clients.
6. La consultation obligatoire du registre des bénéficiaires effectifs dans le cadre de la vérification de leur identité pour les clients définis à l’article L.561-45-1 CMF
Enfin, la nouvelle rédaction de l’article R.561-7 du CMF impose aux assujettis de consulter le registre des bénéficiaires effectifs dans le cadre de la vérification de leur identité et de prendre des mesures de vigilance complémentaires en fonction du niveau de risque présenté par le ou les bénéficiaires effectifs.
Cette obligation vaut pour les clients définis à l’article L.561-45-1 CMF dont la liste englobe une large partie des types de clients possible.
7. Renforcement de l’obligation de vérification de l’identité des bénéficiaires effectifs
La nouvelle rédaction de l’article R.561-8 du CMF limite le cas de dérogation à l’obligation de vérification de l’identité des bénéficiaires effectifs pour les sociétés cotées en supprimant la référence aux pays tiers reconnu comme équivalents par la Commission européenne (à ne pas confondre avec les pays tiers dits équivalents listés dans l’arrêté du 27 juillet 2011).
Cette référence est remplacée par la soumission à des obligations de publicité conformes au droit de l’UE ou à des normes internationales équivalentes garantissant une transparence adéquate des informations relatives à la propriété du capital. Les assujettis sont d’ailleurs tenus de justifier de l’utilisation de cette dérogation auprès de l’ACPR ou de l’AMF.
8. Modification du périmètre et clarification des mesures de vigilance renforcées applicables à l’activité de correspondance bancaire
En premier lieu, la nouvelle rédaction de l’article L.561-10-3 du CMF inclut les entreprises d’investissement et les prestataires de services d’investissement ayant leur siège social dans un autre Etat membre de l’Union européenne agissant par des agents liés dans son champ d’application, ce qui implique la mise en œuvre de mesure de vigilance complémentaires en cas d’activité de correspondance bancaire. En revanche, les entreprises du secteur de l’assurance, les institutions de retraite professionnelle ainsi que tous les intermédiaires[6]se trouvent exclus de son champ d’application, ce qui constitue un choix cohérent au vu de la nature de leurs activités.
En second lieu, cette même disposition prévoit l’exécution l’application des mesures de vigilance complémentaires d’opérations de paiement pour compte de tiers dans le cadre d’une relation d’affaires avec un organisme financier situé dans un pays tiers à l’UE/EEE. Ces mesures deviennent ainsi applicables aux relations de correspondance bancaire avec des organismes financiers situées dans des pays tiers dits équivalents.
9. Clarification des mesures de vigilance complémentaires applicables aux relations d’affaires impliquant des pays tiers à haut risque
A titre de rappel, la 5ème directive LCB-FT a harmonisé les mesures de vigilance renforcées à mettre en œuvre à l’égard des relations d’affaires ou opérations impliquant des pays tiers à haut risque présentant des défaillances importantes en matière de LCB-FT et figurant sur la liste noire de la Commission européenne.
- Mesures de vigilance complémentaires
Ainsi, l’article R.561-20-4 du CMF dans sa nouvelle rédaction prévoit une liste de mesures de vigilance complémentaires à mettre en œuvre, en sus de l’obligation de détection par les assujettis de ce type d’opérations. Il faut remarquer que la transposition de cette obligation traduit l’esprit de la 5ème directive, qui renforce l’approche par les risques, étant donné que l’intensité des mesures listées ci-après varie en fonction du niveau de risque:
- La décision de nouer ou de maintenir la relation d’affaires est prise par un membre de l’organe exécutif ou toute personne habilitée à cet effet par l’organe exécutif ;
- Des informations supplémentaires relatives aux éléments suivants sont recueillies : la connaissance de leur client et, le cas échéant, de son bénéficiaire effectif, la nature de la relation d’affaires, l’origine des fonds et du patrimoine du client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif, ainsi que l’objet des opérations envisagées ou réalisées ;
- Une surveillance renforcée de la relation d’affaires est mise en œuvre en augmentant le nombre et la fréquence des contrôles réalisés et en adaptant les critères et seuils en fonction desquels les opérations doivent faire l’objet d’un examen plus approfondi.
De plus, une mesure de vigilance complémentaire figurant parmi la liste dressée à ce même article doit être appliquée :
- Des éléments supplémentaires de vigilance renforcée ;
- La mise en place de mécanismes renforcés de suivi ou de signalements destinés notamment au responsable de la mise en œuvre du dispositif de de LCB-FT;
- La limitation des relations d’affaires ou des opérations avec des personnes physiques ou tout autre entité provenant d’un pays tiers à haut risque.
Les assujettis du secteur financier, excepté les prestataires de services d’investissement exerçant en libre établissement sur le territoire français et les changeurs manuels, doivent confier la responsabilité des modalités de suivi de ces opérations au responsable du dispositif de LCB-FT.
Il faut remarquer qu’en cas d’appartenance à un groupe, les assujettis du secteur financier ont la possibilité de ne pas mettre en œuvre ces mesures s’ils justifient auprès de l’ACPR ou de l’AMF que leurs filiales ou succursales situées dans un pays tiers à haut risque appliquent des mesuresau moins équivalentes à celles prévues par la réglementation française. Il s’agit une fois encore de l’application du principe d’approche par les risques.
- Limitation des activités, relations d’affaires et opérations avec les pays tiers à haut risque
Enfin, l’article L.561-11 du CMF dans sa nouvelle rédaction renvoie à un arrêté du ministre de l‘économie prévoyant les mesures visant à soumettre à des conditions spécifiques, à restreindre ou à interdire l’activité dans des pays tiers à haut risque recensés par la Commission européenne, et des Etats figurant sur les listes du Groupe d’action financière, parmi ceux dont la législation ou les pratiques font obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
De ce fait, le nouvel article R.561-20-5 du CMF prévoit une liste de mesures visant à soumettre à des conditions spécifiques, à restreindre ou à interdire l’activité, les opérations ou les relations d’affaires impliquant des pays tiers à haut risque :
- Interdire l’établissement en France de filiales, de succursales ou de bureaux de représentation de personnes équivalentes aux assujettis domiciliées, enregistrées ou établies dans un pays tiers à haut risque recensé par la Commission européenne ou tenir compte, d’une autre manière, du fait que la personne concernée est originaire d’un Etat ou territoire qui n’est pas doté de dispositifs satisfaisants de LCB-FT ;
- Interdire aux assujettis d’établir des filiales, succursales ou des bureaux de représentation dans un pays tiers à haut risque recensé par la Commission européenne ou tenir compte, d’une autre manière, du fait que la succursale ou le bureau de représentation en question serait établi dans un Etat ou territoire qui n’est pas doté de dispositifs satisfaisants deLCB-FT ;
- Imposer aux assujettis des obligations renforcées en matière de contrôle ou d’audit externe pour les filiales et les succursales établies dans un pays tiers à haut risque recensé par la Commission européenne ;
- Imposer des obligations renforcées en matière d’audit externe pour les filiales et succursales des assujettis dont les entreprises mères ou les sièges sociaux sont situés dans un pays tiers à haut risque recensé par la Commission européenne ;
- Sans préjudice des mesures de vigilance spécifiques aux relations de correspondance bancaire, imposer aux assujettis concernés d’adapter leurs relations de correspondant avec les établissements clients dans le pays concerné ou, si nécessaire, d’y mettre fin.
10. Introduction de la création obligatoire d’une liste des fonctions relevant de la qualité de PPE
Le nouvel article R.561-18 du CMF prévoit qu’un arrêté du ministre de l’économie fixera la liste des fonctions publiques importantes correspondant à la qualité de personne politiquement exposée (PPE). Cette liste nationale sera nécessaire à la Commission européenne pour la publication de la liste consolidée de toutes les listes nationales.
Les mesures de vigilance complémentaires à l’égard des PPE demeurent inchangées.
11. Restriction des conditions d’application des mesures de vigilance simplifiées
Un durcissement des conditions de mise en œuvre des mesures de vigilance simplifiées en cas de faible risque de BC-FT est à observer.
La nouvelle rédaction de l’article R.561-15 du CMF limite la liste des clients présentant un faible risque de BC-FT (risque faible légal) par la suppression de la référence aux pays tiers dits équivalents. Par conséquent, seuls les clients (sociétés cotées, assujettis du secteur financier et autorités publiques) établis dans l’UE ou l’EEE sont considérés comme présentant un faible risque.
Quant au régime du risque faible soumis à l’interprétation des assujettis, la nouvelle rédaction de l’article R.561-14 du CMF ajoute l’obligation de s’assurer tout au long de la relation d’affaires que le risque de BC-FT demeure faible. Cette disposition précise également que les mesures de vigilance doivent être renforcées en cas d’opération suspecte, sauf si elles peuvent raisonnablement penser que la mise en œuvre de ces mesures alerterait le client.
12. Limitation des produits de monnaie électronique « anonyme »
Sans surprise, la nouvelle rédaction de l’article R.561-16-1 du CMF limite les conditions d’utilisation de la monnaie électronique dite « anonyme », pour lesquels le client n’est ni identifié, ni son identité vérifiée et aucun élément de connaissance n’est recueilli, conformément aux dispositions de la 5ème directive LCB-FT :
- Abaissement du seuil de chargement des supports non rechargeables de monnaie électronique de 250 à 150 euros ;
- Abaissement de 250 à 150 euros du montant des opérations de paiement sur une période de trente jours pour les supports rechargeables, à l’exception des paiements réalisés en ligne pour lesquels une limite de 50 euros par opération est introduite.
- Restriction de l’utilisation des supports de monnaie électronique « anonyme » au territoire national ;
- Abaissement du seuil de remboursement de la monnaie électronique en espèces ou de retrait en espèces à partir d’un support de monnaie électronique de manière anonyme de 100 à 50 euros.
L’interdiction de chargement d’un support de monnaie électronique anonyme au moyen de monnaie électronique anonyme demeure inchangé, tout comme l’interdiction de chargement dudit support en espèces. Ce dernier point constitue une mesure allant au-delà des dispositions de la 5ème directive LCB-FT, comme celle-ci le permet étant donné sa qualité de directive d’harmonisation minimale. On ne peut d’ailleurs que regretter l’utilisation erronée du terme de “surtransposition”, applicable uniquement à l’égard des directives d’harmonisation maximale et qui constitue une violation du droit de l’UE.
Il faut noter que l’exception à l’interdiction de chargement en espèces, qui permet ainsi aux assujettis de commercialiser des produits de monnaie électronique anonyme, a été restreinte. En effet, le chargement en espèces était possible en cas de commercialisation pour un éventail limité de biens ou services de consommations ou dans un réseau limité d’accepteurs de produits de monnaie électronique. Désormais, une seconde condition doit être respectée pour bénéficier de cette exception à l’interdiction de chargement en espèces : la valeur monétaire maximale stockée sur le support, qui ne peut être rechargeable, est limitée à 50 euros.
Par ailleurs, une période de mise en conformité pour les opérations de paiement initiées via internet ou au moyen d’un dispositif de communication à distance a été accordée aux émetteurs de monnaie électronique jusqu’au 1er janvier 2021 au vu des modifications techniques conséquentes.
Afin de renforcer la limitation des produits de monnaie électronique anonyme, un nouvel article R. 561-16-2 a été introduit et entrera en vigueur à compter du 10 juillet 2020. Cette disposition prévoit que les prestataires de service de paiement ayant la qualité d’acquéreurs ne peuvent accepter un paiement à partir de monnaie électronique utilisable sur support physique émise dans un pays tiers et dont le détenteur n’est pas identifié, ni son identité vérifiée que si ces instruments de monnaie électronique répondent dans ce pays aux exigences nationales (article R.561-16-1 du CMF précité).
13. Précision des facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’obligation de vigilance constante
La nouvelle rédaction de l’article R.561-12 du CMF ajoute en effet un facteur à considérer dans le cadre l’actualisation des éléments de connaissance de la relation d’affaires. Les assujettis sont tenus de prendre en compte les changements pertinents de la relation d’affaires ou la situation du client, qui inclut également les changements constatés lors du réexamen de toute information pertinente sur les bénéficiaires effectifs, notamment en application de la réglementation relative à l’échange d’informations dans le domaine fiscal. Une fois encore, l’importance prise par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales se traduit par cet ajout.
14. Introduction de l’obligation d’enregistrement obligatoire d’informations pour les opérateurs de jeux et paris
Le nouvel article L.561-13 introduit une obligation d’enregistrement et de conservation d’information spécifique applicable aux opérateurs de jeux et paris aussi bien « physique » que en ligne (alinéas 9° et 9°bis de l’article L.561-2 CMF.
Ces assujettis sont désormais tenus d’enregistrer toutes les opérations d’échange de tous modes de paiement, plaques, jetons, tickets dont le montant est supérieur à 2000 euros ; étant précisé que l’article R.561-10 CMF envisage les opérations liées « par séance » s’agissant des casinos.
Ce principe d’enregistrement systématique est une nouveauté s’agissant des assujettis ne relevant pas du secteur financier.
III. Obligation de déclaration du soupçon : modulation du principe de confidentialité de la déclaration de soupçon et communication indirecte à TRACFIN
La transposition de la 5èmedirective entraîne un double mouvement d’élargissement et de restriction du principe de confidentialité de la déclaration de soupçon et élargit le principe du filtre du bâtonnier aux CARPA.
1. Confidentialité de la déclaration de soupçon : modulation du principe de confidentialité et possibilité de communiquer
Par dérogation au principe de confidentialité de la déclaration de soupçon, les assujettis peuvent communiquer sur les déclarations de soupçon adressées à TRACFIN dans certaines situations.
D’abord, les assujettis du secteur financier ont la possibilité de communiquer sur l’existence et du contenu d’une déclaration de soupçon lorsqu’ils appartiennent à un même groupe. Son corollaire entraîne au bénéfice de TRACFIN un pouvoir d’opposition élargi en vertu de l’article L.561-20 du CMF dans sa nouvelle rédaction.
Cette logique de communication intra groupe existait avant la transposition sous la forme d’une logique « intra opération suspicieuse » pour les assujettis du secteur financier, les experts-comptables et les assujettis du secteur judiciaire qui pouvaient – et peuvent toujours – s’informer de l’existence et du contenu d’une déclaration de soupçon lorsqu’ils interviennent pour un même client et dans une même opération ou lorsqu’ils ont connaissance, pour un même client, d’une même opération.
Ainsi, dans le cas d’une opération suspicieuse impliquant plusieurs professionnels assujettis désignés par l’article L.561-21 CMF, ceux-ci peuvent échanger entre eux sur l’« existence et le contenu de la déclaration » de soupçon.
La nouvelle rédaction de l’article L.561-21 du CMF élargit cette possibilité de communication aux nouveaux assujettis que sont les CARPA et les greffiers des tribunaux de commerce.
Néanmoins il est à noter tous ces assujettis doivent désormais se trouver dans l’UE ou l’EEE ce qui entraine la suppression de cette possibilité de communication pour les assujettis se trouvant dans un pays tiers dit équivalent.
2. Elargissement de la communication indirecte à TRACFIN via le « filtre du Bâtonnier » aux CARPA
La dérogation à l’obligation d’adresser directement une déclaration de soupçon à TRACFIN en cas d’opération ou de tentative d’opération suspecte existe depuis le 1erfévrier 2009, c’est-à-dire la transposition de la 3èmedirective LCB-FT et concerne uniquement les avocats et les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
En effet, la déclaration de soupçon doit être adressée aux Bâtonniers à charge pour eux de la transmettre à TRACFIN. Ce système communément appelé « filtre du bâtonnier » est une des conditions résultant de l’arrêt Michaud c/ France rendu par la CEDH pour valider l’assujettissement des avocats aux obligations LCB-FT. La CEDH analyse ce filtre comme opérant la sauvegarde du secret professionnel «La loi met en place un filtre protecteur du secret professionnel : les avocats ne communiquent pas les déclarations directement à Tracfin mais, selon le cas, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l’ordre auprès duquel ils sont inscrits. Il peut être considéré qu’à ce stade, partagé avec un professionnel non seulement soumis aux mêmes règles déontologiques mais aussi élu par ses pairs pour en assurer le respect, le secret professionnel n’est pas altéré. [7]»
La nouvelle rédaction de l’article L.561-17 du CMF élargit le champ de cette dérogation aux nouveau assujettis que sont les CARPA qui doivent transmettre leur déclaration de soupçon aux bâtonniers de leur ordre.
Enfin, une nouveauté est également introduite s’agissant du bâtonnier destinataire de la déclaration de soupçon. Auparavant, l’avocat devait transmettre sa déclaration de soupçon « au bâtonnier de l’ordre auprès duquel il est inscrit » sans choix aucun. Désormais, l’article L.561-17 propose une alternative par l’ajout de l’alternative « ou au bâtonnier de l’ordre auprès duquel est inscrit l’avocat ayant déposé les fonds, effets ou valeurs faisant l’objet de cette déclaration. ». Il semble que cet ajout introduise de manière plus appuyée les obligations LCB-FT dans les relations entre Avocats puisque cette alternative s’envisage une « défaillance » d’un Avocat dans le respect de ses obligations LCB-FT et à ce titre autorise la déclaration de soupçon entre deux acteurs dénués de tout lien hiérarchique.
Pour citer cet article : « OLAB, Points clés de la transposition de la 5èmedirective LCB-FT »
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[1]LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, entrée en vigueur le 24 mai 2019.
[2]Article L.561-3, Code monétaire et financier
[3]Ancien article L.561-3 II CMF
[4]Arrêté du 27 juillet 2011 relatif à la liste des pays tiers équivalents en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme mentionnée au 2° du II de l’article L. 561-9 du CMF.
[5]Ces deux articles ont été abrogés.
[6]Intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement lorsqu’ils agissent en vertu d’un mandat délivré par un client et qu’ils se voient confier des fonds en tant que mandataire des parties, intermédiaires en assurance et intermédiaires en financement participatif.