Apports de la 5ème directive relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

Par Delya DOUGLAS, membre OLAB, juriste spécialiste en LCB-FT et contrôle interne à la Direction des affaires juridiques de l’ACPR

RESUME

La révision de la 4ème directive anti-blanchiment (dite « 5ème directive anti-blanchiment »), lancée à l’issue des attentats terroristes perpétrés en Europe et dont la concertation était en cours au moment de l’affaire des « Panama papers », a fait l’objet d’un accord politique fin 2017. Adoptée, la Directive a été publiée le 19 juin 2018 au Journal Officiel de l’Union européenne et prévoit un délai de transposition de 18 mois à compter de sa publication pour la plupart de ses dispositions.

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Le projet de 5ème directive élargit le champ d’application des obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), notamment aux acteurs dans le domaine des crypto-actifs. Il renforce également les obligations de vigilance à l’égard de la clientèle (i) en limitant davantage l’utilisation des produits de monnaie électronique dite « anonyme » et (ii) en précisant les mesures de vigilance renforcées à mettre en œuvre à l’égard des relations d’affaires et opérations impliquant des pays tiers à haut risque (tels que listés par la Commission européenne).

En outre, le projet pose le principe de la supervision consolidée du dispositif de LCB-FT des groupes, porté par l’ACPR notamment à la suite de l’affaire dite des « Panama papers » et repris par le Parlement européen[1]. Il renforce concomitamment la coopération entre les autorités de supervision LCB-FT compétentes, en s’inspirant des mécanismes de coopération prévus dans CRD4. Il prévoit la coopération entre les superviseurs LCB-FT et prudentiels, dont la BCE. À cette fin, la conclusion d’un accord entre les superviseurs LCB-FT et la BCE sur les modalités pratiques d’échange d’informations, à négocier au sein des AES, doit intervenir dans un délai de 6 mois à compter de l’entrée de vigueur de la directive. Des travaux sont en cours en vue d’un accord multilatéral, en principe.

[1] Le rapport de la commission d’enquête du Parlement européen « Panama Papers » a été publié en novembre 2017.

1. Contexte de la révision de la 4ème directive anti-blanchiment

En juin 2016, la Commission européenne a proposé une modification de la 4ème directive anti-blanchiment dans le cadre de son plan d’action de lutte contre le financement du terrorisme, élaboré à la suite de la vague d’attentats terroristes en Europe.

La révision de la 4ème directive anti-blanchiment a fait l’objet d’un accord politique fin 2017 à l’issue des négociations du trilogue. La « 5ème directive anti-blanchiment » devrait être publiée à la mi-avril 2018 et devra être transposée dans un délai de 18 mois à compter de sa publication pour la plupart de ses dispositions[1]. La Direction Générale du Trésor envisage d’introduire, par amendement dans le cadre du projet de loi dite « Pacte »[2], une habilitation législative[3] à transposer la 5ème directive par voie d’ordonnance. Pour l’instant, le projet de loi PACTE n’a pas été amendé en vue d’y insérer l’habilitation du gouvernement à transposer la 5ème directive LCB-FT par voie d’ordonnance.

2. Apports de la 5ème directive anti-blanchiment

a) Champ d’application

Le champ des organismes assujettis aux obligations de LCB-FT est notamment élargi aux intermédiaires opérant dans le domaine des crypto-actifs, en particulier aux fournisseurs de services de garde et aux plateformes de conversion des monnaies virtuelles contre des monnaies ayant cours légal[4]. Ces acteurs seront soumis à un régime d’enregistrement ou d’agrément auprès des autorités nationales compétentes.

b) Obligations de LCB-FT applicables aux organismes assujettis
i. Obligations d’identification et de vérification de l’identité des clients dans le cadre des entrées en relation d’affaires à distance

La 5ème directive vient préciser les garanties à mettre en place pour atténuer les risques élevés de BC-FT liés à une entrée en relation d’affaires à distance. La mention de signature électronique à l’annexe III de la 4è directive sur les risques des relations à distance est supprimée. Il est désormais prévu le recours à un moyen d’identification électronique qui a été soit, notifié auprès de la Commission européenne dans les conditions prévues par le règlement « eIDAS[5] », soit reconnu ou approuvé par une autorité nationale compétente en la matière. Elle précise, en outre, que le recours à un tel moyen d’identification peut constituer une mesure de vérification de l’identité de la clientèle, car constituant un document obtenu d’une source fiable et indépendante. À cet égard, le décret de transposition de la 4ème directive anti-blanchiment (qui entrera en vigueur le 1er octobre 2018) anticipe la 5ème directive.

ii. Renforcement de l’obligation de  registres

La 5ème directive anti-blanchiment élargit l’accessibilité du registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales au public pour les mentions suivantes : nom, année et mois de naissance, pays de résidence et nationalité, nature et étendue des intérêts détenus[6]. En outre, le registre des bénéficiaires effectifs des trusts et fiducies devra être accessible à toute personne ayant démontré un intérêt légitime. Ceci devrait permettre à la France de remettre sur pied le registre des trusts, censuré par le conseil constitutionnel à l’automne 2016. S’agissant des registres des BE des personnes morales, la directive prévoit leur interopérabilité à terme. En outre, il est prévu l’établissement à terme de registres similaires à FICOBA dans les états membres.

Par ailleurs, une preuve d’enregistrement ou un extrait du registre devra être recueilli par les organismes assujettis lors de l’entrée en relation avec une personne morale ou une entité concernée par l’obligation d’enregistrement. Cela renforce aussi le recours au registre pour l’identification des BE.

Enfin, les organismes financiers et les autorités nationales compétentes devront déclarer aux teneurs de registres les éventuels écarts constatés en ce qui concerne les éléments d’identité relatifs aux bénéficiaires effectifs. Néanmoins, l’interrogation du registre n’est pas obligatoire pour les autorités et que pour l’ACPR, elle ne peut être que ponctuelle et aléatoire.

 iii. Clarification des mesures de vigilance renforcées applicables à l’activité de correspondance bancaire

À l’initiative de l’ACPR, le périmètre de l’activité de correspondance bancaire, concerné par les mesures de vigilance renforcées, a été précisé pour tenir compte des récents travaux internationaux dans ce domaine (Gafi et Comité de Bâle). En effet, l’exécution d’opérations de paiement pour compte de tiers dans le cadre d’une relation d’affaires avec un prestataire de services de paiement situé dans un pays tiers à l’UE/EEE conditionne l’application de ces mesures. En l’état, les orientations des AES sur les facteurs de risques qui se fondent sur la 4ème directive prévoient, pour ce qui concerne la correspondance bancaire, l’application de mesures renforcées, y compris à l’égard des opérations réalisées par un établissement client situé dans un pays tiers pour son propre compte. Dans la perspective de la prochaine publication de la 5ème directive, le SGACPR n’applique pas les orientations sur ce point[7].

iv. Limitation de la monnaie électronique dite « anonyme » [8]

La 5ème directive vient une nouvelle fois limiter les conditions d’utilisation de la monnaie électronique dite « anonyme » :

  • Abaissement du seuil de chargement des supports de monnaie électronique de 250 à 150 euros, sans possibilité pour un État membre de relever ce seuil pour l’utilisation sur son seul territoire (suppression de l’option nationale figurant dans la 4ème directive anti-blanchiment);
  • Abaissement de 250 à 150 euros du montant des opérations de paiement sur une période d’un mois pour les supports rechargeables, à l’exception des paiements réalisés en ligne (par exemple, sur internet) pour lesquels une limite de 50 euros par opération est introduite. L’utilisation des supports de monnaie électronique « anonyme » est de surcroît restreinte au territoire national ;
  • Abaissement du seuil de remboursement de la monnaie électronique en espèces ou de retrait en espèces à partir d’un support de monnaie électronique de manière anonyme de 100 à 50 euros.
v. Mesures de vigilance renforcées applicables dans le cadre des pays tiers à haut risque

La 5ème directive anti-blanchiment harmonise les mesures de vigilance renforcées à mettre en œuvre à l’égard des relations d’affaires ou opérations impliquant des pays tiers à haut risque présentant des défaillances importantes en matière de LCB-FT et figurant sur la liste « noire » de la Commission européenne, en cours de modification[9]. Les mesures portent sur l’obtention d’informations sur l’origine des fonds et du patrimoine des clients et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif, ainsi que sur la collecte d’informations additionnelles sur la relation d’affaires et le renforcement de la surveillance des opérations. En outre, la décision de nouer ou de maintenir une relation d’affaires avec un tel client devra être prise par un membre de la haute hiérarchie, à l’instar du régime applicable aux PPE et aux relations de correspondance bancaire transfrontalières avec des pays tiers. C’est au demeurant ce qui est déjà prévu dans la réglementation française, sous réserve d’une évaluation préalable du profil de risque de chaque relation d’affaires avec un client situé dans un tel pays.

Par ailleurs, le texte prévoit une liste limitative de mesures complémentaires à mettre en œuvre, qui devront être choisies par les États membres lors de la transposition et pourront impacter les pouvoirs de l’ACPR :

  • Limitation des relations d’affaires avec des clients de pays tiers à haut risque ;
  • Mise en place d’une déclaration systématique des opérations (similaire au régime des communications systématique d’informations à Tracfin « COSI »);
  • Refus de l’établissement de filiales ou de succursales de ces pays tiers dans l’État membre ;
  • Interdiction aux organismes assujettis d’établir des filiales ou succursales dans ces pays tiers à haut risque.

Il convient, enfin, de souligner que le dispositif national transposant la 4ème directive anti-blanchiment a maintenu la mise en place d’un régime de vigilance plus favorable pour les relations d’affaires situées dans des pays tiers dits « équivalents » à la réglementation LCB-FT française (liste prise par arrêté du 27 juillet 2011, sur laquelle figurent notamment la Suisse ou la Russie). Cela n’empêcherait pas les organismes financiers de mener leur propre évaluation des risques liés aux pays où les clients sont établis ou avec lesquels ils ont des activités importantes, sans préjudice de la liste noire européenne.

c) Supervision consolidée des groupes et renforcement de la coopération entre superviseurs LCB-FT et avec les superviseurs prudentiels

Sans préjudice de l’approche territoriale en matière de LCB-FT[10], la 5ème directive anti-blanchiment, introduit le mécanisme de supervision consolidée du dispositif de LCB-FT à l’échelle des groupes bancaires et d’assurance. Les États membres doivent, en effet, s’assurer que les autorités compétentes de l’État membre où est établie l’entreprise mère du groupe contrôlent la mise en œuvre effective des procédures applicables à l’échelle du groupe (qui portent notamment sur les échanges d’informations au sein du groupe, y compris les déclarations de soupçon). Cette modification a été portée par l’ACPR, notamment à la suite de l’affaire dite des « Panama papers », à l’instar de ce qui prévaut déjà en France.

Le texte renforce, en parallèle, la coopération entre les autorités de supervision LCB-FT. Il est notamment exigé des États membres de s’assurer que l’autorité de supervision consolidée et l’autorité des pays d’accueil des filiales et succursales coopèrent entre elles. Plus largement, il est précisé que la coopération entre les superviseurs LCB-FT des pays d’origine et d’accueil doit être la plus large possible, peu importe le statut/ la nature de l’autorité de supervision (par exemple, le superviseur LCB-FT espagnol du secteur financier n’est pas le superviseur prudentiel).

d) Obligations de publication et de reporting

Les États membres seront désormais tenus de publier un résumé de leur évaluation nationale des risques de BC-FT.

De plus, une liste des fonctions publiques importantes correspondant à la qualité de personne politiquement exposée (PPE) devra être publiée et tenue à jour par chaque État membre. La Commission sera ensuite chargée de publier la liste consolidée de toutes les listes remises par les États membres.

Dans le cas où un État membre aurait prévu des exceptions au droit d’accès aux registres des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des entités, celui-ci sera tenu de publier des statistiques annuelles sur le nombre d’exceptions accordées ainsi que les raisons qui les ont motivées.

Enfin, la Commission européenne est chargée de publier un rapport sur la mise en œuvre de la 5ème directive anti-blanchiment 2 ans à compter de la transposition de ladite directive, puis tous les 3 ans.

[1]À l’exception de la mise en place du registre des BE des trusts et fiducies qui devra intervenir 20 mois à compter de l’entrée en vigueur de la directive. À noter qu’un accord d’échange d’informations entre les autorités de supervision LCB-FT et la BCE devra être signé dans les 6 mois suivant l’entrée en vigueur de la directive.

[2] Projet de loi « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ».

[3] Cette habilitation serait plus large que la seule transposition de la 5ème directive et devrait inclure des améliorations du dispositif national de gel des avoirs.

[4] Article 2 (1), point 3 du projet de 5ème directive anti-blanchiment.

[5] Règlement (UE) n°910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE.

[6] Le registre central des bénéficiaires effectifs des personnes morales demeure accessible aux autorités compétentes et CRF sans restriction, ainsi qu’aux organismes assujettis pour la mise en œuvre de leurs obligations de vigilance, comme le prévoyait la 4ème directive anti-blanchiment.

[7] L’entrée en vigueur de la 5ème directive réglera cette divergence d’interprétation.

[8] C’est-à-dire bénéficiant d’exemption des obligations de vérification d’identité du client, et le cas échéant, du bénéficiaire effectif et de connaissance de la relation d’affaires.

[9] Règlement délégué (UE) n°2016/1675, accessible via le lien suivant: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R1675&from=FR, complété par le règlement délégué (UE) n° 2018/105 accessible via le lien suivant: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2018.019.01.0001.01.FRA&toc=OJ:L:2018:019:TOC Ce règlement est actuellement en voie de modification par un règlement délégué de la Commission du 13 décembre 2017.

[10] À savoir que la loi LCB-FT du pays d’accueil s’applique aux succursales et à toutes les autres formes d’établissement (par exemple, recours à des agents de services de paiement sur le territoire du pays d’accueil), sous le contrôle de l’autorité de supervision du pays d’accueil

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